Alors que je fixe le plafond de ma chambre, je réfléchis.. Certes, j'ai poussé la bibliothèque comme chaque nuit devant la porte, fermé les volets et bloqué celle ci à l'aide d'une étagère mais au moins, je peux me détendre. Beaucoup de choses à penser depuis que j'étais chez les veilleurs. C'est là j'ai tué mon premier homme! Et sans le vouloir ! Je visais la jambe du sectateur ... Et j'ai touché la tête. Entre les yeux. Ma main en frissonne encore. J'en ai fait du chemin jusque là.. Grâce à Moraïa.. Ma deuxième maman .. Mais jamais je ne l'avouerai. Jamais ! C'est elle qui m'a permise de m'en sortir..
Je se souviens encore de sa première rencontre .. Chez les doigts de fée .. Alors que j'étais prise sur le fait de chaparder.. Enfin, d’emprunter à (très) longue durée. Et cette 'discussion'... Ou plutôt du coup de poing que je lui ai mise .. Bien visée d’ailleurs. A la mâchoire ! Mais.. Ses mots étaient bien plus forts que de vulgaires poings .. Et depuis lors.. Je suis restée avec elle, sous son aile. La première personne a qui j'ai véritablement faite confiance.
Et cette dernière soirée avec la seconde.. Matsu.. Elle m'énerve ! Mais tellement ! Pourtant, Je sais que j'apprécie cette vieille bique.. Elle est trop.. Comme Moraïa en fait... Trop gentille sous son aspect dur. Trop agréable sous sa mine confiante. Trop consciente des réalités et pourtant si .. agréable? Et elle me comprends. Tellement.. Même si je grogne encore du fait qu'elle m'a manipulée afin que je porte une robe. Et pas n'importe quelle robe, une de mariée. Le pire.. C'est que je me suis trouvée belle. Féminine sans tout ce cuir. Sans ces armes. Sans cette férocité. Juste.. Belle.. Avec un petit sourire timide quand je m'en suis permise un devant la glace. Depuis quand n'avais je pas été féminine? Depuis quand?
Puis.. Au moment de sortir pour me montrer, ma vieille amie la peur a assailli mon ventre, formant une boule désagréable. Ma nuque s'est hérissée sous le danger, sous ma vulnérabilité, sous ma fragilité. j'étais sans défense. Une faible proie. Mon corps s'est mis à trembler violemment. Je ne pouvais rester comme ça. J'ai alors bouclé mon ceinturon avec mes armes, enfilé mon pantalon et enfin mes bottes. Il n'y a que comme ça que j'ai pu me montrer, en robe, devant Matsu. J'ai honte.
Me retournant encore et encore dans le lit, je grogne, n'arrivant pas à trouver le sommeil. Féminine. Ce mot si simple n’arrêtait pas de traverser mon esprit. Féminine..J'aimerais l'être.. Je veux l'être ! Pouvoir me permettre de l'être! Mais pourtant.. Tout ceci n'est qu'un rêve inaccessible. Quand est ce que je me suis sentie 'femme' , ou fille plutôt... C'était quand j'étais jeune.. Douze ans .. Cette soirée sera clair à tout jamais.. Rien ne s'effacera. Rien.
La vie était rude à la Marche de l'Ouest.. Mes frères et soeurs travaillaient tout le temps au champ dans la ferme des Saldean. Et quand ce n'était pas les champs, c'était la nourriture à faire pour les familles, les animaux à brosser, les vêtements à laver... Un repas par jour le plus souvent d'ailleur. Deux lors des fêtes. Rien .. Après une émeute. Mon père Ralfus était mort depuis longtemps. Malheureusement. Ce qui rendait la stabilité de la famille .. Périlleuse.. Une femme déjà mariée avec des enfants n'intéressent plus personne .. Et le travail d'enfant ne rapportait pas assez. Surtout que les gangs étaient toujours à l'affut de profits.
Des fois, ma mère Odile disparaissait avec des messieurs le soir.. Mais elle revenait toujours avec un éclatant sourire. Et parfois, du chocolat. On était tous contents. Et bêtes. Sauf que la misère s'installait. Notre mère partait de moins en moins à cause de sa vieillesse et des marques du travail des champs.. Le travail d'enfant n'était plus si rentable que cela..
Et un soir tout bascula.
Des personnes se rebellèrent dans notre village. Des restes de défias peut être. Etant petite, je n'ai pas compris pourquoi. Nous avions a mangé .. ? Et du travail .. N'était ce pas là ce qui définit une bonne vie? En tout cas, la garde désarma facilement les paysans affamés. Elle fit un exemple des plus vieux et de ceux qui ne pouvaient plus travailler.. Et nous priva de nourriture. Pendant une semaine. Une longue semaine. On chassait les souris .. On mangeait l'herbe. La boue. L'écorce des arbres. Eric,le plus jeune de ma famille mourut de cette famine. Le corps ne fut pas perdu.
C'est là que tout a changé. Je me rappelle ma mère venir expliquer à Cécile,ma soeur et moi que nous allions nous rendre quelque part.. pour faire des choses horribles .. Mais que nous pourrions manger. Au début, je ne comprenais pas pourquoi elle pleurait. Odile, elle, savait à la vue de sa mine sombre. Nous sommes donc aller chez les gardes. Après une brève discussion entre ma mère et eux, elle nous laissa à notre chemin.
Le fort des gardes à la colline des sentinelles étaient grand, les murailles s'étendaient hautes avec une agréable sensation de sécurité . La douce odeur de ragout flottait dans les airs et le rire d'homme et de femme étaient audible, joyeux ainsi que retentissant.Mes yeux émerveillés d'enfant observait les armures, leurs uniformes bleues à tête de lion, l'entrainement de certains gardes, leur prestance. Puis nous fûmes emmenées dans une partie un peu à l'écart du fort, tranquillement, nous parlant de tout et de rien. Une maison isolée y étaient, lumineuse , des hommes et femmes nous attendaient.Mes pas se firent soudainement plus hésitant. Mon instinct s'affola pour la première fois. La porte se referma derrière nous. Ils nous voulaient. Nous étions à eux.
Les bras chargés de victuaille au petit matin, note mère nous attendait. Son regard vide et rouge trahissait ses pleurs, sa honte, son échec en tant que mère. Je me précipita vers elle, avec mon plus beau sourire et la réconforta durant de longues heures, sans parler, sans rien faire, juste étant toutes les trois enlacées ensemble. Ainsi débuta de longues années sombre. Ma réputation était venue aux oreilles des gang.. un engrenage monstrueux fut mis en branle.. Et je ne pouvais l'arrêter.
Je pousse un crie de rage dans ma chambre tandis qu'un 'TA GUEULE' retentissant me fit taire. Il était encore tard .. Ou tôt.. Mais je n'arriverai pas à dormir de suite.. Il fallait que je me dépense, que je me défoule, sinon je risquerai de penser à ce que j'ai fait pour m'en sortir.. Et je n'en avais pas envie..